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Le leadership par l'engagement : comment faire rayonner les individus pour servir le collectif ?

Sarah Bruzzese
9/4/2024
Interview
Nicolas Froissard
Directeur Général, La Fresque du Climat
Dialogue avec des dirigeants à impact
« Il y en a beaucoup, des millions de personnes qui font des choses extraordinaires. Mais on en parle peu. »

 

Bonjour Nicolas, peux-tu en quelques mots te présenter et nous présenter tes différentes actions?

Je m'appelle Nicolas Froissard, j'habite à Paris, je travaille depuis plus de 20 ans dans ce qu'on appelle l'économie sociale et solidaire, et aujourd'hui je suis directeur général de l'association La Fresque du Climat.

La Fresque du Climat, c'est une association française, qui s’est développé un peu partout dans le monde et qui est aujourd'hui présente dans 156 pays. C'est un atelier de trois heures qui repose sur un jeu avec des cartes qui permet à un groupe de participants, en général 7 ou 8 personnes, de comprendre les liens entre les causes et les conséquences du dérèglement climatique. Cet atelier repose sur le principe d'intelligence collective, via un animateur ou une animatrice, qui est là surtout pour guider les participants.C’est entre eux qu’ils trouvent les solutions et justement les liens entre les causes et les conséquences du dérèglement climatique. L’atelier fait également appel à la sensibilité de chacun, puisque là il s'agit vraiment de comprendre en profondeur le fonctionnement de ce dérèglement et les causes dont on est finalement tous un peu responsables. Et si on est tous un peu responsables, on a tous un peu la solution aussi. Il y a aussi une phase d'échange et de partage à la suite de cette première phase de l'atelier, mais aussi de mise en mouvement, de mise en action. Comment chacun, chacune dans son quotidien, peut évoluer, changer, convaincre d'autres personnes d'aller vers une résolution de ce problème qui est quand même majeur pour toute notre société aujourd'hui.

 

« Tant que nous ne prenons pas un vrai moment de qualité, que nous ne partageons pas avec d’autres personnes, nous ne pouvons recevoir réellement l’information. »

Les sujets d'impact sociétaux et environnementaux sont omniprésents dans ton discours, comment vois-tu évoluer ces sujets dans la société et en entreprise ?

Ce sont des sujets qui sont souvent évoqués de façon clivante. Donc le postulat de la fresque du climat, c'est de n'être que sur des constats scientifiques en se reposant beaucoup sur les rapports du GIEC. Quand on part de ce postulat et de ce constat partagé par de nombreux scientifiques dans le monde, on s'aperçoit que les conversations sont beaucoup moins clivantes. On peut toujours avoir des personnes qui sont un peu... à la limite du complotisme, mais heureusement c'est une très grande minorité. On s'aperçoit que les gens sont à l’écoute, quand on prend le temps vraiment de parler d'informations qui sont sourcées, qui reposent sur des consensus scientifiques, et puis sur des constats que l’on commence aussi à toutes et tous voir, car les conséquences du dérèglement climatique sont déjà là. Mais néanmoins, c'est vrai qu'aujourd'hui on est dans une société de l'information, de la surinformation, nous prenons de l’information toute la journée, sur beaucoup de sujets d’ailleurs anxiogènes, que l’on survole un peu, pour se protéger aussi quelque part. Tant que nous ne prenons pas un vrai moment de qualité, que nous ne partageons pas avec d’autres personnes, nous ne pouvons recevoir réellement l’information.

L’aspect collectif est très important, dans la fresque du climat mais c’est aussi le même constat pour la Convention citoyenne pour le climat. Quand on reçoit de l'information de qualité, qu'on a le temps de la digérer, qu'on a le temps de la partager avec d'autres, qu'on a le temps d'échanger avec des personnes qui ont ce savoir aussi, et bien il y a quelque chose qui se passe et qui est ancré beaucoup plus profondément que quand on est tout seul devant un écran ou en écoutant sa radio, où l'information finalement, elle arrive mais elle repart, elle nous percute mais on ne l'intègre pas durablement et profondément.

Donc je suis convaincu qu'un temps de qualité où l’on met son téléphone de côté, où vraiment on est concentré sur le sujet, concentré sur les personnes qui sont avec nous à ce moment-là, nous permet une meilleure compréhension d'un problème et d’accélérer la façon dont on a envie de le résoudre.


« La réussite, ce sujet qui n'est jamais traité, jamais débattu, devrait à mon avis être un petit peu ré-interrogé. »

Au-delà de tes engagements, tu as aussi la conviction qu'il faut redéfinir la notion de réussite, peux-tu nous en dire plus ?

Je crois que c'est un sujet qui est central aujourd'hui et qui malheureusement est très peu évoqué dans notre société. Le modèle de notre société repose sur une réussite qui dépend beaucoup aujourd'hui de l'apparence, des signes de réussite qu'on peut délivrer chacun, chacune à nos proches ou de façon générale à la société. Cette réussite aujourd'hui est beaucoup reliée à l ’argent, ce qui n’est pas mal en soi, mais on voit bien qu'en tout cas pour les plus riches, il y a quelque chose qui à un moment donné n'a plus beaucoup de sens. On voit bien que beaucoup de gens très riches finissent par donner beaucoup d'argent à leur fondation ou à des causes d'intérêt général, parce que tu as beau avoir très bien réussi ... il te manque quelque chose à un moment donné, le lien social, l'utilité sociale, on est quand même des animaux sociaux, on a besoin effectivement de ce lien à l'autre et de se considérer comme étant utile pour les autres. La réussite, ce sujet qui n'est jamais traité, jamais débattu, devrait à mon avis être un petit peu ré-interrogé. On devrait collectivement se demander ce que c'est que de réussir dans la vie. Cela peut très bien être gagner de l'argent, ce n’est pas mal de gagner de l'argent, d'avoir des responsabilités, de développer son entreprise et de faire en sorte qu'elle soit couronnée de succès quand on est entrepreneur ou entrepreneuse, c'est évidemment très bien.

Mais on voit finalement que la course au toujours plus n'a pas de sens surtout dans le contexte que l’on connaît avec des ressources qui sont limitées.

Donc est ce que réussir c'est foutre la planète en l'air ? Être très riche alors qu’il y a quand même beaucoup de gens sur notre planète qui vivent vraiment très difficilement ? Je trouve que ça n'a pas beaucoup de sens, donc on devrait un peu penser à tout ça et se dire est-ce que la réussite ce n'est pas avant tout la façon dont on se comporte avec les autres, avec nos proches et moins proches, avec la planète ?Je pense que si nous étions capables d'avoir ce débat-là, cela nous permettrait sans doute d'aller plus vite dans la résolution des problèmes que l'on connaît actuellement, qu'ils soient sociaux ou environnementaux.

« Si les gens qui font des choses extraordinaires ne le disent jamais, c'est difficile de convaincre d'autres de les rejoindre. »

 

Tes prises de paroles Linkedin et ta volonté de mettre en lumière des personnes qui agissent dans l'ombre traduisent cette volonté de montrer cette réussite et cette richesse des individus, quel impact cela a eu en externe et sur les personnes concernées ? 

Oui, pendant le Covid, effectivement, avec des amis, comme beaucoup, on prenait des apéros en visio. Et à un moment, on s'est dit, pendant le premier confinement, c'est super de voir les soignants être applaudis à 20h sur les balcons, mais on sait très bien que ça ne va pas durer.  

Comment peut-on imaginer des initiatives qui permettent justement de mettre en avant ces personnes extraordinaires ? Évidemment, les soignants, mais aussi les travailleurs sociaux, et toutes les personnes qui dédient leur vie à l'intérêt général, qui accompagnent des personnes en situation de handicap, qui accompagnent des enfants en difficulté, ou qui, globalement, travaillent ou font du bénévolat pour des associations ou des causes d'intérêt général.

Il y en a beaucoup, des millions de personnes qui font des choses extraordinaires. Mais on en parle peu. L'être humain est ainsi, il est sans doute plus intéressé ou captivé par ce qui peut apparaître dangereux ou clivant. Donc les informations aujourd'hui, elles reposent beaucoup sur ce type d’information. On médiatise plus les personnes qui détruisent, qui cassent que les personnes qui construisent, qui font des choses positives.

Alors on s’est dit qu'il faudrait imaginer quelque chose sur les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux aujourd'hui c'est un endroit où il y a quand même beaucoup de violence, beaucoup d'agressivité beaucoup d'insultes, les gens passent leur temps à dénoncer tout et n'importe quoi.

En y réfléchissant avec mes amis, on se disait, ces personnes-là, il faudrait leur dire : "écoute, calme-toi un peu et dénonce plutôt tes héros" Et c'est comme ça que le hashtag « dénonce tes héros » ou « dénonce tes héroïnes » est né. Ces héros du quotidien, ils ne sont pas très connus, et parfois ils n'ont pas envie d'être très connus. Il y a l'idée quand même de les obliger aussi en quelque sorte à parler un peu plus de ce qu'ils et elles font. Si les gens qui font des choses extraordinaires ne le disent jamais, c'est difficile de convaincre d'autres de les rejoindre. On sait que la force de l'exemple, l'exemplarité, l'incarnation, c'est important aujourd'hui dans notre société qui repose beaucoup sur l'individu, sur l'image. L'incarnation est importante et peut être mise au service d'un projet collectif. L’envie est donc de créer un cercle un peu vertueux et de se dire, on connaît tous forcément des personnes qui font des choses dingues, qui s'engagent pour la société au quotidien, pourquoi on n'en parle pas plus ? Et dénonçons nos héros et nos héroïnes sur les réseaux sociaux et notamment sur LinkedIn, où ça marche très bien.

« Les héros et les héroïnes du quotidien dans une entreprise, c'est aussi et surtout les salariés. »

 

Penses-tu que ce type d'action de mise en lumière peut être transposé en entreprise ? Quel impact sur l’attractivité et la rétention des collaborateurs ? sur les enjeux de diversité et d’inclusion ?

J’aime bien comparer l'entreprise à un mini échantillon de la société et il y a beaucoup d'entrepreneurs qui sont des héros du quotidien parce que ce n’est pas toujours évident d'entreprendre. Parfois justement ils réorientent leur entreprise vers plus de solidarité ou de respect de l'environnement.
J'ai eu en effet des échanges avec justement des cadres ou des dirigeants dans des entreprises et puis je l'ai parfois fait aussi, de dire que les héros et les héroïnes du quotidien dans une entreprise, c'est aussi et surtout les salariés. J'aurais tendance, sans forcément toujours parler de héros et de héroïnes du quotidien, mais en tout cas à valoriser ces équipes, à les mettre beaucoup plus en avant. C'est une communication qui me paraît intéressante, même pour l'intérêt de l'entreprise parce qu'aujourd'hui je pense que les gens, que ce soit des consommateurs, des partenaires, des clients de l'entreprise, ils en ont un peu ras-le-bol justement de voir uniquement la représentation du PDG et ils s'identifieront sans doute plus facilement s'ils voient la personne qui est derrière la caisse, s'ils voient la personne qui est dans l'usine, s'ils voient la personne qui permet en tout cas à l'entreprise vraiment concrètement de fonctionner.

J'aurais tendance à encourager les entreprises à le valoriser, cela peut permettre de fidéliser les équipes et aussi de créer plus de ponts entre les collaborateurs.
Plus une entreprise ressemble à la société qui l'entoure, plus elle est performante, j’encourage donc là aussi les entreprises à aller à fond sur les sujets de diversité et d’inclusion.

 

« Ce débat sur l'environnement ou sur le climat, il interroge finalement la question des inégalités et de la répartition de la richesse au sein de notre société. »

 

Servir le collectif et créer du lien social est pour toi une condition sine qua non pour agir sur les enjeux environnementaux, peux-tu nous en dire plus? 

On sait que le dérèglement climatique va toucher en premier les personnes les plus défavorisées, en France et ailleurs. Ce sont les plus pauvres et les régions du monde les plus fragiles qui vont être touchées en premier, alors que souvent, c'est celles qui ont le moins contribué au dérèglement climatique. Et même en France, les zones les plus polluées et donc les plus dangereuses pour la santé seront celles où il y a déjà le plus de précarité. Les femmes vont être plus touchées partout dans le monde par le dérèglement climatique parce qu'elles font souvent partie des plus pauvres. Il y a un mécanisme profondément injuste dans ce qui est en train de se passer. A un moment, on ne peut pas demander à tout le monde de faire le même effort. Donc il faut que ceux qui contribuent le plus au dérèglement climatique, et c'est ceux qui consomment le plus, qui voyagent le plus … de faire un pas évidemment beaucoup plus important puisque ce sont eux qui contribuent le plus à la résolution de ce problème.

Donc effectivement, sans cette vision de justice sociale, on n'arrivera pas à faire grand-chose. Ce débat sur l'environnement ou sur le climat, il interroge finalement la question des inégalités et de la répartition de la richesse au sein de notre société.

 

 As-tu des exemples à nous partager en interne ou d’entreprise qui ont changé de modèle et de trajectoire ? Que retenir particulièrement de leurs transformations ?

J'ai participé à une initiative qui s'appelle la Convention des entreprises pour le climat, qui s'inspire de la Convention citoyenne pour le climat. C'est une initiative extrêmement intéressante qui permet justement à des entrepreneurs et dirigeants de se retrouver et échanger, la première convention des entreprises pour le climat, nous étions 200 dirigeants. Nous nous retrouvions trois jours par mois pour réfléchir et travailler ensemble sur la compréhension de l'entreprise régénérative. J’ai beaucoup appris grâce à ces échanges et ces moments collectifs. Aujourd’hui, notre société, c’est beaucoup une société de la réparation, les acteurs sociaux arrivent souvent, après l'accident de vie, après l'accident tout court. Et en fait, on s'aperçoit qu’un vrai changement serait de basculer dans une société de la prévention. Et c'est intéressant de se dire qu'en fait, une société dans laquelle on ferait beaucoup plus attention à l'autre, plus de prévention santé, plus de prévention éducation, plus de prévention santé mentale, c'est une société dans laquelle les gens iraient beaucoup mieux, mais c'est aussi une société qui serait plus respectueuse de l'environnement. C’est un cercle hyper vertueux, c'est vrai que la prévention nécessite sans doute des investissements à court terme plus importants, mais sur le moyen ou le long terme, cela entraine bien plus d'économies que cette société de la réparation où on est tout le temps en train de courir après les problèmes.

 

« J'aurais tendance à dire, qu'on soit entrepreneur ou qu'on soit citoyen, commençons par changer des choses dans notre quotidien. »

 

Quels conseils donnerais-tu à ces dirigeants qui souhaitent changer de trajectoire et construire de nouveaux récits, comment agir et embarquer leurs collaborateurs ? Y a-t-il des leçons apprises que tu aimerais partager ?

Je pense qu'il faut surtout avoir envie d’essayer. Je crois beaucoup à la méthode des petits pas. C'est parfois difficile de se dire on va changer du tout au tout. Cela bloque pas mal de personnes, de se dire, il faut que je change complètement mes habitudes. J'aurais tendance à dire, qu'on soit entrepreneur ou qu'on soit citoyen, commençons par changer des choses dans notre quotidien. Sur la question environnementale, ce n’est pas forcément très compliqué. On a les moyens de prendre un peu moins l'avion, de manger un peu moins de viande, de commencer à s'engager pour des associations sociales ou environnementales, de faire un peu de bénévolat. Et puis, en général, quand on fait un pas, on découvre d'autres façons de s'engager, donc on va faire d'autres pas peut-être plus facilement. Je pense, et notamment dans l'entreprise, qu’il faut commencer par avoir des objectifs qui au départ sont réalistes et qui vont être de plus en plus ambitieux parce qu'on va aussi embarquer de plus en plus de personnes et de salariés.

C'est un peu l'objectif de la fresque du climat, sensibiliser et faire en sorte qu'il y ait de plus en plus au sein des entreprises des ambassadeurs de la lutte contre le changement climatique et qui vont eux-mêmes "fresquer" leurs collègues, mais aussi sans doute à un moment donné avoir des idées qui vont même interroger la façon dont l'entreprise fonctionne au quotidien et la façon dont elle peut améliorer son bilan environnemental. Autour de ces idées qu'on partage, il y a aussi beaucoup d'idées sur ce que doit être une entreprise idéale, y compris en termes de management. Tout est un peu lié. C'est-à-dire qu'une entreprise qui se veut innovante, je pense qu'elle doit l'être sur tous les aspects. Une entreprise qui n’est pas en avance sur la question environnementale, elle l’est rarement sur la question d'égalité homme-femme, ou sur la diversité, ou sur la façon de manager de façon générale. Je crois dans une vision à 360 et dans le fait d’avancer sur la question environnementale en même temps que sur la question de la diversité, sur la question de l'égalité des genres. L'entreprise libérée, c'est un bon exemple. Il n'y a pas d'entreprise qui dit du jour au lendemain, on va être une entreprise libérée. En fait, ça ne se fait pas comme ça. Et puis si tu le dis et que tu ne le fais pas réellement derrière, tu perds complètement la confiance de tes équipes.

La cohérence me paraît un sujet majeur pour qui que ce soit, mais notamment pour les entreprises. C'est-à-dire qu'il faut travailler sa cohérence. Arrêter d'annoncer des choses que l’on ne fait pas ou d'essayer d'être bon sur un aspect et laisser complètement les autres sujets. Sur le long terme, je pense que c'est vraiment gagnant.

 

 

 « Donner envie à toujours plus de personnes de s'engager, quelle que soit la façon dont elles s'engagent. »

Si on se parlait du futur et des projets à venir :

La fresque du climat « augmentée » en quelques mots ?

La fresque du climat augmentée, c'est une fresque qui aujourd'hui augmente déjà pas mal puisqu'elle est présente dans 156 pays, mais si on veut un moment une véritable bascule, il faut effectivement qu'une grande partie de la population mondiale soit sensibilisée. Cet outil en a inspiré plein d’autres, il y a une centaine de fresque sur des sujets différents : sexisme, diversité, discrimination, tout cela est systémique, permet de mieux comprendre et entraine la mise en mouvement.

Et Nicolas« augmenté » en quelques mots ? 

Nicolas, augmenté, je ne sais pas… mais mon choix et je raisonne beaucoup par rapport à ça, c'est d'avoir vraiment un impact et d’accepter de l’incarner pleinement, d’assumer d’être visible et de rendre visible des personnes pour servir une cause.

Donner envie à toujours plus de personnes de s'engager, quelle que soit la façon dont elles s'engagent.

 

 

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