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Diversité et inclusion au service de la performance : Démonstration par l'exemple, le cas Barilla

Sarah Bruzzese
22/3/2024
Interview
Miloud BENAOUDA
Président Europe de l'Ouest, Barilla Group
Dialogue avec des dirigeants à impact
« Notre codir, c’est 60% de femmes, 5 nationalités, plein de contradictions, de paradoxes, d'échanges ; c’est non seulement plus performant mais aussi tellement plus enrichissant. »

Bonjour Miloud, peux-tu en quelques mots te présenter et nous parler du groupe Barilla ?

Je suis Miloud Benaouda et j’occupe les fonctions de président pour la région Europe de l'Ouest pour Barilla. J’ai la responsabilité du périmètre France, Benelux et Iberia.

J’ai fait toute ma carrière dans l’agroalimentaire. J’ai démarré chez Danone en étant commercial terrain puis j'ai rejoint Barilla il y a maintenant 25 ans.

Pour résumer ces 25 années, je peux dire que j’ai occupé à peu près tous les métiers commerciaux : du chef de secteur au directeur commercial, et j’ai pu vivre trois expatriations dont sept ans au Moyen-Orient et trois ans dans les pays nordiques.

Barilla est une entreprise familiale, c'est la quatrième génération qui est aujourd’hui à la tête de l'entreprise. Plus de 140 ans d'une histoire qui continue à s’écrire. Notre marque se déploie dans plus de 100 pays, leader mondial sur la catégorie des pâtes et acteur majeur sur les métiers de la boulangerie avec une approche plus orientée marques en local.

L’ensemble fait un peu plus de 4,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires et plus de 8000 collaborateurs, avec trois marchés en tête l’Italie, les Etats-Unis et la France.

La France avec ses 1300 collaborateurs est numéro 2 sur les métiers des pâtes et des sauces marque Barilla et leader de la boulangerie pré-emballée avec la marque Harrys, 7ème marque alimentaire la plus achetée.

« Si je dois prendre du recul sur ces 25 ans, peu importe le contexte ou les changements de direction, ces trois piliers obsession, conviction et attention sont là depuis toujours de manière cohérente et sincère. »

Le groupe connaît de belles performances dans un contexte pourtant difficile. Peux-tu nous donner quelques ingrédients de cette résilience et de ce succès ?

Il y a selon moi trois d'ingrédients essentiels pour Barilla. Le premier c'est l’obsession de qualité de nos produits, il ne faut pas oublier que le premier critère d'évaluation et de choix de nos clients c’est la qualité du produit. Le deuxième, la conviction de construire des marques fortes, qui ont du sens et qui sont capables d’évoluer avec leur temps. Et puis le troisième c'est l’attention et un respect particulier pour les personnes et pour nos collaborateurs.

Si je dois prendre du recul sur ces 25 ans, peu importe le contexte ou les changements de direction, ces trois piliers obsession, conviction et attention sont là depuis toujours de manière cohérente et sincère.

 « Nous ne croyons pas à la culture du clone, nous préférons la contradiction, l'échange d'idées, les différences de point de vue. C’est un vrai levier de performance. »

 L'inclusion et la diversité sont-ils des éléments clefs de performance ? Comment cela s'illustre au sein du groupe ? As-tu des exemples à nous partager ?

Chez Barilla, on croit à cette notion de diversité comme étant un vrai levier de performance. Et j'y crois à titre très personnel. Je pense que plus une organisation est diverse, plus elle est performante. Plusieurs raisons à cela, premièrement et de manière assez simple nous pensons avoir besoin d'une organisation qui ressemble à nos consommateurs.

Nous faisons des pâtes et du pain, nos consommateurs sont divers et variés, et donc nous avons besoin que l’organisation les comprenne.

Le deuxième point, nous ne croyons pas à la culture du clone, nous préférons la contradiction, l'échange d'idées, les différences de point de vue. C’est un vrai levier de performance. Nous allons donc rechercher la diversité dans nos organisations.

Le troisième point, que je porte aussi à titre personnel, je pense qu'on a un rôle à jouer d'un point de vue sociétal pour lutter contre toutes les formes de discrimination. On agit depuis un peu plus de 15 ans de manière assez active sur ce sujet-là. Des exemples concrets, j'en ai plein.

Chez Barilla, il existe un « Board of Diversity and Inclusion » qui est sous le patronage de la famille et du CEO et rayonne au niveau global. Ce comité se réunit tous les trimestres pour faire un point sur les avancées ou les retards en matière de diversité et d'inclusion et des actions faites. Il est composé pour moitié de collaborateurs et pour une autre moitié d'experts externes.

Autre exemple concret, nous avons mis en place ce qu'on appelle les ERG « Employee Resource Groups ». En France, c’est 80 personnes qui travaillent sur des sujets diversité et inclusion pour remonter à la direction tous les sujets sur lesquels nous pouvons agir, améliorer ou revoir nos démarches. Ces indicateurs diversité et inclusion se répercutent dans l’évaluation du CODIR et donc dans la rémunération variable.

Je suis également très heureux d’avoir contribué à inscrire Barilla comme une des premières entreprises à avoir signé la charte de l'autre cercle. Nous avons signé également la charte FACE, qui vise à lutter contre toutes les formes de violences à l'égard des femmes.

Nos indicateurs sont assez éloquents puisque notre codir est à 60% féminin, notre index parité hommes-femmes, tel que mesuré par les pouvoirs publics, est à 99 sur 100. C'est notre fierté et c'est la dixième année consécutive.

Dernière initiative, nous avons annoncé à partir du 1er janvier 2024 que tous nos collaborateurs pourront bénéficier d'un congé parental de 12 semaines, payé à 100%, et cela quelle que soit la situation maritale du couple. Je trouve que c'est une avancée extrêmement forte et importante.

Quels sont les autres indicateurs qui te permettent de suivre l’avancée concrète des sujets ?

L’enquête interne sur la diversité et l'inclusion que nous effectuons tous les deux ans est notre base de travail. Nous demandons à l'ensemble de nos collaborateurs d'évaluer l'entreprise sur sa capacité à une fois de plus développer de la diversité et l'inclusion au sein de l'entreprise. Nous obtenons des indicateurs très précis et un plan d’action, qui nous permettra de constater l’évolution sur la prochaine enquête.

« Parfois on m’a partagé que cela pouvait être un peu brutal, pour certaines personnes les sujets sont éloignés, mais c’est à mon sens important de sortir de ces biais et de se confronter aux sujets pour mieux les intégrer. »

 

Il ne suffit pas d'atteindre des quotas pour que cette diversité rayonne en interne et en externe. Peux-tu m’expliquer comment vous accompagnez les collaborateurs, quelle communication pour faire adhérer, quel appui des équipes managériales ?

Nous veillons à avoir la parité, à casser ce plafond de verre, pour construire des équipes de profil très différents. Cela étant, tu as raison, je pense qu'effectivement, cela doit s’accompagner d’un gros travail de communication et de formation.

Nous avons pour cela plusieurs événements organisés de manière régulière pour porter certaines thématiques. Nous nous imposons aussi dans nos réunions de dédier un moment pour parler de la diversité et de l’inclusion.

Sur la formation, tous nos collaborateurs ont été formés sur un certain nombre de sujets diversité et inclusion. J'aime bien aussi exposer, peut-être parfois brutalement nos collaborateurs à des problématiques de discrimination en invitant par exemple des associations à venir nous partager leurs enjeux et leurs réalités. Nous sommes partenaire par exemple d'une association qui s'appelle le Refuge. Cette association travaille sur l'accueil de jeunes et d'adolescents qui se sont retrouvés rejetés par leur famille à la suite de leur coming out. Nous les avons reçus dans nos locaux. Nous avons fait pareil avec la Sorbonne qui a un programme pour les réfugiés. Nous avons donc partagé avec nos collaborateurs et les réfugiés un plat de pâtes, rien de mieux pour créer le lien et l’échange.

Parfois on m’a partagé que cela pouvait être un peu brutal, pour certaines personnes les sujets sont éloignés, mais c’est à mon sens important de sortir de ces biais et de se confronter aux sujets pour mieux les intégrer.

Ces sujets ne sont concrets que s’ils sont bien portés par le haut : la famille, le CEO, la direction, le management, et que cela rayonne au sein des collaborateurs.

Sans cela, c'est effectivement très compliqué ensuite de mettre en place de manière sincère, une politique de diversité et d'inclusion.
 

« Nous commençons déjà à sentir quelques tensions et j'ai la conviction que la diversité et l'inclusion sera une des réponses à ces problématiques de recrutement »

 

Le rôle de la direction des ressources humaines est stratégique pour accompagner ces ambitions, quel binôme as-tu créé avec ta direction des ressources humaines ?

C’est absolument essentiel. La direction des ressources humaines est très impliquée au quotidien sur ces sujets. D'ailleurs très souvent c'est le premier département exposé à des possibles remontées, que ce soit vis-à-vis de l'interne ou des sujets de recrutement à l'externe.

Je suis assez convaincu que le recrutement ou ce qu'on va appeler la chasse au talent va devenir un enjeu majeur des prochaines années. Nous commençons déjà à sentir quelques tensions et j'ai la conviction que la diversité et l'inclusion sera une des réponses à ces problématiques de recrutement... ce sera notre capacité à élargir le champ des profils. Nous avons des expériences assez intéressantes dans l'entreprise. Nous avions par exemple dans nos annonces une phrase qui indiquait « Vous êtes diplômé d'une école de commerce, 5 ans d'expérience, vous parlez 3 langues, postulez ». On a pris la décision de retirer cette phrase-là et de la remplacer par un ton plus inclusif invitant toute personne avec une histoire à nous raconter à postuler. Ce qui fait que nous avons plutôt de belles histoires, par exemple des personnes en usine qui postulent aujourd'hui sur des postes de commerciaux et que nous avons recrutées.

Avant sur ces profils, nous avions de façon quasi exclusive des collaborateurs sortis de grande école de commerce. Aujourd'hui, nous avons des personnes avec des parcours plus courts, des parcours dans d’autres métiers. Je trouve que c'est une belle énergie et c'est aussi un changement majeur chez nous. Mais néanmoins, ça ne suffit pas et nous devons nous améliorer continuellement. C'est pour cela que chez nous, la diversité et l'inclusion est une entité déconnectée de la fonction RH.

 

« Il peut paraitre parfois contre nature de mettre des chiffres derrière des sujets d’ordre humain, mais malheureusement ils sont nécessaires pour justement mesurer tes progrès. »

 

Les sujets humains sont assez complexes et incertains. As-tu des leçons apprises que tu aimerais nous partager ? Des erreurs qui t'ont permis d'être encore meilleur sur ces sujets ?

Je peux commencer par mon erreur, à titre personnel, dans mon cheminement sur la politique de la diversité et de l'inclusion. Au début, je l'ai portée et je suis parti seul sur le sujet. J'ai eu un moment, un tournant, où j’ai réalisé que certaines choses ne me convenaient pas et je voulais impacter de manière différente. J’ai réalisé que finalement tout seul j’avais beaucoup de mal à impacter. J’ai donc décidé d’engager mon codir mais ça n’allait toujours pas assez vite. Puis un jour, j’ai compris que parmi nos collaborateurs beaucoup aimeraient aussi agir et qu’il fallait leur laisser la possibilité de s’impliquer. C’est ainsi qu’ont vu le jour les "ERG" et ces 80 collaborateurs qui travaillent sur les sujets diversité et inclusion. Et là, oui, nous avons un impact. Donc oui le sponsoring de la direction est essentiel, mais l'impact est d'autant plus fort quand les collaborateurs le portent.

L’autre point important, c’est que ça ne s’arrête jamais, à aucun moment tu peux dire ça y est c’est fait. Cela se mesure et s’écrit dans le temps long. Il peut paraitre parfois contre nature de mettre des chiffres derrière des sujets d’ordre humain, mais malheureusement ils sont nécessaires pour justement mesurer tes progrès.

 

« A titre personnel, je m’impose une règle simple je traite nos collaborateurs comme j'aimerais que mes plus proches soient traités dans leur entreprise. »

 

Donc voilà, une sœur ou une nièce, j'aimerais qu'elle soit traitée de la même manière dans une entreprise et non pas discriminée parce que c'est une femme. J'aimerais qu'un plus jeune y soit traité comme j'aurais aimé être traité moi quand j'étais plus jeune. Si j'avais quelqu'un dans une situation de handicap dans ma famille, j'aimerais que la société soit capable effectivement de l'inclure. Voilà, une règle assez simple, c'est finalement de ramener les sujets à soi. Je me rends compte qu'avec nos collaborateurs, c'est aussi comme ça que cela les touche, car finalement, tout le monde a une situation dans son entourage.

Il nous faut comprendre que les tensions qu'on a dans la société civile, elles sont dans l'entreprise. Il n'y a pas de filtre. L'entreprise n’est pas un espace préservé. On se doit de protéger ses collaborateurs et de travailler sur l'inclusion et la diversité. Nous rencontrons encore des situations de discrimination, de violence, elles existent et je serais naïf de croire qu'elles ne sont pas là. Et d'ailleurs, c'est là où aussi une autre leçon, c'est qu'il faut savoir être intransigeant quand les situations se présentent, sinon tu n'es pas crédible. On édicte des règles. Les chartes que nous avons signées sont notre code de bonne conduite en interne donc si on ne les respecte pas il y a sanction.  

L'entreprise est, comme tu l’as illustré, un miroir de la société. Si on prend un moment pour observer les éléments de tension de notre environnement, penses-tu que l'entreprise peut avoir un rôle sur ces enjeux de société ? Comment peut-elle agir réellement pour avoir un impact positif ? 

Mon expérience personnelle peut y répondre en partie. J’ai à un moment pris un virage, réalisé que je ne faisais pas grand-chose. Dans mon cas, les événements de 2015 à Paris m'ont bouleversé comme beaucoup mais cette claque m’a fait réagir et j'ai développé à ce moment-là cette conviction qu’effectivement je jouais un rôle en tant que leader et que mon entreprise pouvait avoir un impact.

Après presque dix ans, je crois que nous pouvons réellement avoir un impact. De l’humilité bien sur car avant de penser sauver la société ou le monde extérieur, ce sont nos personnes qu’il faut préserver, nos 1300 collaborateurs. Je crois à la somme des initiatives aussi infimes soient-elles pour faire quelque chose de plus grand potentiellement. Je considère cela désormais comme une obligation et j'ai la chance d'être dans une entreprise qui pense comme moi.

J’aime à penser que nos collaborateurs, je peux potentiellement les éveiller, les exposer à des sujets auxquels ils ne sont pas exposés, des situations qu'ils ne connaissent pas, potentiellement les bousculer un petit peu, leur faire prendre conscience de ce que ça peut supposer et leur faire comprendre qu'ils peuvent avoir un impact.

Il y a aussi des combats que l’on peut porter plus efficacement que d’autres, pour nous c’est le cas avec la précarité alimentaire, on peut agir sur cela. Nous avons ainsi des rapports très proches avec des associations comme les Restos du Cœur, la banque alimentaire, nous sommes un des plus gros donateurs, et cela de manière très sincère et très réfléchie.

Sur le thème de l'inclusion, nous avons créé l'espace pour dire à nos collaborateurs qu'ils ont le droit d'être qui ils sont et que leur différence nous les aimons et nous les recherchons. Certains ont ainsi fait leur coming out et je reprends leur mot qui se sont sentis à l'aise de le faire, parce qu'on avait enlevé certains freins qui les laissaient penser que potentiellement c'était un souci.

Une anecdote qui illustre cela d'une personne qui a fait un coming out qui disait que son trajet pour venir au bureau tous les matins, c'était d'inventer l'histoire qu'il allait raconter à ses collaborateurs à la machine à café, sur les questions classiques de « tu as fait quoi hier ? et tu étais où le week-end ? » Et après son coming out, il nous dit « maintenant, moi je suis comme vous, je lis un bouquin dans le métro et j'arrive détendu au travail. »

Ce sont des situations concrètes, des situations avec des espaces où oui, il y a encore de la violence, des mots déplacés à l'égard des femmes … cela existe encore, mais on y lutte, on fait tout pour que cela n’arrive plus.

La culture du clone n’est plus envisageable. Moi, personnellement, j'étais dans cette logique-là en recrutant sans m’en rendre compte, des gens qui me ressemblaient. Je ne fais plus ça. Notre codir, c’est 60% de femmes, 5 nationalités, plein de contradictions, de paradoxes, d'échanges, c’est non seulement plus performant mais aussi tellement plus enrichissant.


Et si on se parlait du futur et des projets à venir, le groupe Barilla « augmenté » en quelques mots ? Miloud « augmenté » en quelques mots ? 

Barilla a un peu plus de 140 ans et notre vocation est de se dire que nous serons encore là dans 140 ans. C'est la première des motivations, cette vision très familiale et de transmission de valeurs. C’est aussi construire des marques fortes, en capacité d'investir et d'innover. Nous sommes assez convaincus qu'il y a une obligation d'investissement pour durer et pour construire une fois plus une entreprise forte. Pour cela, il faut des collaborateurs qui viennent travailler avec de l’énergie et la conscience de leur impact.

Ma responsabilité, c'est de faire de Barilla une entreprise toujours plus forte. Cela ne se traduit pas chez nous par la taille mais par la réputation et le respect de ses clients.

J'espère aussi contribuer à ce qu'on protège davantage notre planète qui ne va pas très bien en ce moment. J'aspire également pour mes collaborateurs à leur donner les moyens et les conditions d'aller au travail avec le sentiment qu'ils se développent, qu'ils apprennent des choses et qu'ils vont passer un moment dans un endroit où ils se sentent bien.

 

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